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Un groupe de macaques vivant en
liberté aux environs de Bangkok ont été surpris alors qu'ils se
nettoyaient les dents au moyen de fil dentaire improvisé avec des
cheveux humains prélevés sur la tête des touristes. Mieux :
apparemment satisfaits du procédé, ils se sont mis à enseigner cette
technique à leurs enfants.
On connaissait déjà la capacité de certains singes à utiliser des
outils, partagée quelquefois avec d’autres animaux. Mais
l’observation de la nature, décidément, réserve encore bien des
surprises…
L’étude débute lorsqu’une équipe de scientifiques de l’unité de
primatologie de l’Université de Kyoto observe un bien curieux
comportement de macaques crabiers (Macaca fascicularis) ayant élu
domicile autour du temple bouddhiste de Prang Sam Yot, situé dans la
petite ville de Lopburi, à 154 km au nord de Bangkok (Thaïlande). Il
s’agit d’une zone sablonneuse d’environ 50 mètres de côté, entourée
de trois routes de 20 mètres de largeur et d’une voie de chemin de
fer, fréquentée par de nombreux touristes.
Neuf animaux adultes, tous des femelles, avaient alors pour habitude
de grimper sur la tête des visiteuses, non pour mendier de la
nourriture, mais pour arracher quelques cheveux qu’ils emportaient.
Ils les utilisaient ensuite comme s’il s’agissait de fil dentaire
pour se nettoyer les dents le plus consciencieusement du monde.
Ayant décidé de rester sur place pour analyser ce comportement pour
le moins curieux, le professeur Nobuo Masataka est allé de surprise
en surprise…
En quatre années, le nombre de singes ayant adopté ce comportement a
augmenté jusqu’à 50, tous des adultes, sur les quelque 200 animaux
formant cette population. Mais s’agissait-il d’instinct d’imitation
sans but précis, ou d’un réel apprentissage ?
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Durant la période d’observation qui fut
alors entreprise, sept des femelles élevaient des enfants en bas âge
(3 mâles et 4 femelles âgés d’un an environ). Ces 7 animaux ont été
choisis comme sujets d’observation privilégiés, et un protocole a
été mis au point qui devait permettre de collecter un maximum de
renseignements sur leur comportement sans l’influencer. Pour des
raisons de commodité (les touristes apprécieront…), des cheveux
humains d’une longueur moyenne de 20 cm ont été disséminés sur le
territoire des macaques chaque matinée d’observation.
Les animaux partent à la recherche des cheveux environ 30 minutes
après qu’ils aient cessé de s’alimenter. Dès qu’un macaque s’empare
de cet "outil", un enregistrement vidéo est déclenché, qui ne
s’arrêtera que lorsque l’action sera terminée. Le comptage ultérieur
du nombre de frames de la séquence permettra de déterminer la durée
des diverses parties de l’acte accompli, comme le nombre de fois que
le cheveu a été réinséré dans la dentition, la vitesse des gestes,
et même l’insistance du nettoyage.
Parmi les séquences vidéo enregistrées, certaines l’ont été alors
que les animaux étaient seuls, d’autres en présence de leurs
enfants. En tout, 50 enregistrements montraient au moins un enfant
en bas âge à proximité immédiate, ou faisant face à l’animal, tandis
que dans 50 autres, le macaque restait seul. Dans 21 autres cas, un
enfant s’est présenté à proximité immédiate du singe occupé à se
curer les dents en l’observant (18 cas), tandis que 3 cas seulement,
l’enfant n’a effectué qu’un passage sans s’attarder. Durant
l’expérience, une caméra enregistrait le singe adulte de face, une
deuxième montrait une vue d’ensemble de son environnement.
La différence de comportement de l’adulte est frappante et démontre
sans la moindre ambiguïté une volonté d’enseignement de la mère à
l’enfant. Sur la base d’observations systématiques de 51, puis 42
mères, il a été constaté que celles-ci modifiaient sciemment leurs
gestes afin de les rendre compréhensibles. Les macaques femelles
allongeaient leurs gestes, y mettant plus d’insistance et
intercalant de plus longues pauses entre eux. Les actions
elles-mêmes étaient exagérées afin de mieux en détailler le
déroulement à leurs jeunes, dont l’âge s’échelonnait alors de 6 mois
à 13 mois.
L’acte d’apprentissage volontaire est encore confirmé par le
comportement des singes, qui ne présente pas ces caractéristiques
s’ils opèrent seuls, ou en présence de congénères adultes. En tout,
les macaques observés passaient environ deux fois plus de temps à se
passer le fil dentaire improvisé lorsque les jeunes étaient
présents, alors que l’action se réduisait à un bref nettoyage en
temps normal… ce qui est, tout de même avouons-le, remarquable pour
un macaque !
Le Pr. Nobuo Masataka, qui a publié les résultats de ses travaux
dans PloS One, précise que son étude ne se situe qu’au stade
de l’hypothèse, même si elle suggère fortement que les mères
enseignent effectivement à leurs jeunes comment utiliser cet
instrument d’hygiène improvisé. "J'étais surpris, car enseigner
une technique visant à utiliser convenablement un outil à un tiers a
toujours été décrit comme une activité réservée aux humains",
annonce-t-il, concluant que "Nous aimerions nous focaliser sur
les bébés singes pour vérifier si les actions de leur mère les
aident effectivement à apprendre comment se nettoyer les dents".
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