30 janvier 2015

 

Les macaques inventent et enseignent l'hygiène dentaire à leurs rejetons !

 
Un groupe de macaques vivant en liberté aux environs de Bangkok ont été surpris alors qu'ils se nettoyaient les dents au moyen de fil dentaire improvisé avec des cheveux humains prélevés sur la tête des touristes. Mieux : apparemment satisfaits du procédé, ils se sont mis à enseigner cette technique à leurs enfants.

On connaissait déjà la capacité de certains singes à utiliser des outils, partagée quelquefois avec d’autres animaux. Mais l’observation de la nature, décidément, réserve encore bien des surprises…

L’étude débute lorsqu’une équipe de scientifiques de l’unité de primatologie de l’Université de Kyoto observe un bien curieux comportement de macaques crabiers (Macaca fascicularis) ayant élu domicile autour du temple bouddhiste de Prang Sam Yot, situé dans la petite ville de Lopburi, à 154 km au nord de Bangkok (Thaïlande). Il s’agit d’une zone sablonneuse d’environ 50 mètres de côté, entourée de trois routes de 20 mètres de largeur et d’une voie de chemin de fer, fréquentée par de nombreux touristes.

Neuf animaux adultes, tous des femelles, avaient alors pour habitude de grimper sur la tête des visiteuses, non pour mendier de la nourriture, mais pour arracher quelques cheveux qu’ils emportaient. Ils les utilisaient ensuite comme s’il s’agissait de fil dentaire pour se nettoyer les dents le plus consciencieusement du monde. Ayant décidé de rester sur place pour analyser ce comportement pour le moins curieux, le professeur Nobuo Masataka est allé de surprise en surprise…

En quatre années, le nombre de singes ayant adopté ce comportement a augmenté jusqu’à 50, tous des adultes, sur les quelque 200 animaux formant cette population. Mais s’agissait-il d’instinct d’imitation sans but précis, ou d’un réel apprentissage ?
 

 

 
Macaca fascicularis. Photo Shawn Allen (Commons).
 
Durant la période d’observation qui fut alors entreprise, sept des femelles élevaient des enfants en bas âge (3 mâles et 4 femelles âgés d’un an environ). Ces 7 animaux ont été choisis comme sujets d’observation privilégiés, et un protocole a été mis au point qui devait permettre de collecter un maximum de renseignements sur leur comportement sans l’influencer. Pour des raisons de commodité (les touristes apprécieront…), des cheveux humains d’une longueur moyenne de 20 cm ont été disséminés sur le territoire des macaques chaque matinée d’observation.

Les animaux partent à la recherche des cheveux environ 30 minutes après qu’ils aient cessé de s’alimenter. Dès qu’un macaque s’empare de cet "outil", un enregistrement vidéo est déclenché, qui ne s’arrêtera que lorsque l’action sera terminée. Le comptage ultérieur du nombre de frames de la séquence permettra de déterminer la durée des diverses parties de l’acte accompli, comme le nombre de fois que le cheveu a été réinséré dans la dentition, la vitesse des gestes, et même l’insistance du nettoyage.

Parmi les séquences vidéo enregistrées, certaines l’ont été alors que les animaux étaient seuls, d’autres en présence de leurs enfants. En tout, 50 enregistrements montraient au moins un enfant en bas âge à proximité immédiate, ou faisant face à l’animal, tandis que dans 50 autres, le macaque restait seul. Dans 21 autres cas, un enfant s’est présenté à proximité immédiate du singe occupé à se curer les dents en l’observant (18 cas), tandis que 3 cas seulement, l’enfant n’a effectué qu’un passage sans s’attarder. Durant l’expérience, une caméra enregistrait le singe adulte de face, une deuxième montrait une vue d’ensemble de son environnement.

La différence de comportement de l’adulte est frappante et démontre sans la moindre ambiguïté une volonté d’enseignement de la mère à l’enfant. Sur la base d’observations systématiques de 51, puis 42 mères, il a été constaté que celles-ci modifiaient sciemment leurs gestes afin de les rendre compréhensibles. Les macaques femelles allongeaient leurs gestes, y mettant plus d’insistance et intercalant de plus longues pauses entre eux. Les actions elles-mêmes étaient exagérées afin de mieux en détailler le déroulement à leurs jeunes, dont l’âge s’échelonnait alors de 6 mois à 13 mois.

L’acte d’apprentissage volontaire est encore confirmé par le comportement des singes, qui ne présente pas ces caractéristiques s’ils opèrent seuls, ou en présence de congénères adultes. En tout, les macaques observés passaient environ deux fois plus de temps à se passer le fil dentaire improvisé lorsque les jeunes étaient présents, alors que l’action se réduisait à un bref nettoyage en temps normal… ce qui est, tout de même avouons-le, remarquable pour un macaque !

Le Pr. Nobuo Masataka, qui a publié les résultats de ses travaux dans PloS One, précise que son étude ne se situe qu’au stade de l’hypothèse, même si elle suggère fortement que les mères enseignent effectivement à leurs jeunes comment utiliser cet instrument d’hygiène improvisé. "J'étais surpris, car enseigner une technique visant à utiliser convenablement un outil à un tiers a toujours été décrit comme une activité réservée aux humains", annonce-t-il, concluant que "Nous aimerions nous focaliser sur les bébés singes pour vérifier si les actions de leur mère les aident effectivement à apprendre comment se nettoyer les dents".
 
 

 
Femelle macaque du Tibet (Macaca thibetana) se nettoyant les dents devant un juvénile.
Photo Noel Rowe (Commons).
 

 

 
 
 

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