Le désert du Sahara et la forêt
amazonienne semblent régner sur des mondes séparés. Le premier est
formé d'une vaste étendue de sable et de broussailles qui s'étend
sur le tiers nord de l'Afrique, tandis que le second est une masse
verte et dense de jungle humide, recouvrant le nord de l'Amérique du
Sud. Et pourtant, ces mondes distants sont connectés : chaque année,
des millions de tonnes de poussière saharienne riche en phosphore et
autres nutriments traversent l'océan Atlantique, alimentant les sols
épuisés de l'Amazone.
Pour la première fois, les scientifiques ont une estimation précise
de la quantité de phosphore, vital pour la forêt amazonienne, qui
entreprend ce voyage transatlantique. Un nouveau document, publié le
24 février 2015 dans la revue Geophysical Research Letters , en
estime la masse à 22.000 tonnes par an, ce qui correspond
sensiblement à la quantité et rejetée à la mer par la forêt
amazonienne suite aux pluies et aux inondations.
Ces 22.000 tonnes de phosphore représentent seulement 0,08% des 27,7
millions de tonnes de poussière du Sahara qui se déposent en
Amazonie chaque année. Cette découverte résulte d'un programme de
recherches visant à mieux comprendre le rôle de la poussière dans
l'environnement et ses effets sur le climat local et global.
"Nous savons que la poussière atmosphérique est très importante à
bien des égards. Il s'agit d'une composante essentielle du
fonctionnement de notre planète. La poussière présente dans
l'atmosphère affecte le climat mondial, mais aussi, le réchauffement
climatique a une incidence significative sur sa quantité",
annonce l'auteur principal de la publication Hongbin Yu, un
chercheur associé au Earth System Science Interdisciplinary
Center (ESSIC),
dépendant de l'Université du Maryland et du Centre spatial Goddard
de la Nasa.
Dans le cadre de cette recherche, les scientifiques ont surtout
collecté de la poussière transocéanique prélevée dans la dépression
Bodélé, au Tchad (Sahara). Le lit de ce lac asséché contient
d'importants dépôts de micro-organismes morts chargés de phosphore,
qui entreprennent le voyage transocéanique au gré des vents depuis
le Sahara, traversant l'océan Atlantique et aboutissant en Amérique
du Sud. Les terres amazoniennes, qui ont épuisé leur phosphore et
autres nutriments essentiels, reçoivent cette manne littéralement
tombée du ciel et reconstituent ainsi leurs pertes.
Yu et ses collègues ont obtenu ces résultats sur la base des données
fournies notamment par le satellite franco-américain
Calipso
(Infrared Pathfinder Satellite Observation) entre 2007 et
2013. L'équipe de scientifiques s'est particulièrement concentrée
sur la poussière transportée depuis le Sahara à travers l'océan
Atlantique vers l'Amérique du Sud, et même au-delà en direction de
la Mer des Caraïbes, car il s'agit du plus important déplacement de
poussière se produisant sur la planète.
Les scientifiques ont évalué la concentration de phosphore contenue
dans la poussière saharienne par l'analyse comparative
d'échantillons provenant de la dépression Bodélé (Sahara), et de
stations situées à La Barbade (Caraïbes) et à Miami (Floride). Ils
ont ensuite utilisé ces données pour calculer quelle quantité de
phosphore se dépose dans le bassin de l'Amazone. Bien que cette
étude, portant sur sept années d'observations, soit trop courte pour
en tirer des conclusions sur les tendances à long terme, il s'agit
d'une étape importante vers une meilleure compréhension sur la façon
dont la poussière et d'autres particules transportées par le vent, y
compris les aérosols, se comportent durant leur voyage
transocéanique.
"Nous avons besoin d'accumuler de nombreuses mesures pour
déterminer si ces données sont constantes et en étudier les
variations", déclare Chip Trepte, un scientifique du projet
Calipso.
D'année en année, la tendance est très variable. Une variation de
86% a été constatée entre la plus grande quantité de poussière
transportée en 2007 et la plus faible, en 2011. Yu et ses collègues
attribuent cette différence aux conditions climatiques dans le
Sahel,cette longue bande de terres semi-arides situées à la
frontière sud du Sahara. Ainsi, les années de fortes précipitations
dans cette région sont généralement suivies d'un amoindrissement
significatif du transport de la poussière durant l'année suivante.
Cette étude a fait l'objet d'une publication le 24 février 2015 dans
Geophysical Research Letters.
Jean Etienne
Sources :
>>> The Fertilizing Role of African Dust in the Amazon
Rainforest: A First Multiyear Assessment Based on CALIPSO Lidar
Observations (Computer, Mathematical, & Natural Sciences)
>>> The Fertilizing Role of African Dust in the Amazon
Rainforest: A First Multiyear Assessment Based on CALIPSO Lidar
Observations (Abstract - Geophysical Research Letters)
>>> NASA - Satellite Tracks Saharan Dust to Amazon in
3-D (Vidéo sur Youtube)
Calipso
sur le site du CNES (fr)
Calipso
sur le site de la Nasa (en)
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