27 décembre 2014

 

Félicette, la chatte spationaute

 
Le 18 octobre 1963, une chatte française de race européenne était embarquée à bord d'une fusée Véronique sur la base de Colomb Bacar, à Hammaguir, dans le Sahara algérien. Au cours d'un vol suborbital qui ne durera qu'une quinzaine de minutes, elle deviendra ainsi le premier – et le seul – chat à avoir goûté aux sensations d'un voyage dans l'espace.

Avant le début de l'ère spatiale, on ne s'était que peu soucié des conséquences et effets biologiques de l'absence de pesanteur sur un organisme. Non par désintérêt, mais simplement parce que ces conditions sont impossibles à reproduire durablement sur Terre. Aussi, le médecin général Grandpierre, directeur du Centre d'Enseignement et de recherche de Médecine Aéronautique français (CERMA) décida-t-il d'utiliser les possibilités offertes depuis peu par les fusées-sondes, capables de procurer plusieurs minutes d'apesanteur durant la phase balistique de leur trajectoire, pour étudier les perturbations subies par les sens de l'orientation et de l'équilibre dans de telles conditions.

Après avoir consulté un groupe de travail, le sous-comité Programme scientifique de recherches spatiales, le Comité d’Action Scientifique de la Défense Nationale (CASDN) donna son approbation en 1959, confirmée deux ans plus tard lors de la création du CNES.

Contraintes redoutables

Le programme était non seulement ambitieux, mais osé. Car si réaliser des expériences sur des animaux se révèle déjà délicat sur Terre, y ajouter les contraintes provoquées par une longue attente dans le volume confiné d'une capsule, à laquelle succède le traumatisme d'un lancement et de la formidable accélération de la fusée, risquait d'en fausser les résultats en masquant les effets de l'absence de pesanteur. Aussi, un long entraînement était-il nécessaire pour accoutumer les animaux à ces contraintes, cela après avoir opéré une sélection des meilleurs sujets sur différents critères.

L'étude des fonctions cérébrales impliquées dans les sens de l'équilibre et de l'orientation étant primordiale, les techniques électro physiologiques de l'époque imposaient la pose d'électrodes au sein même du cerveau des animaux. Mais cette implantation chirurgicale posait des problèmes spécifiques à chaque espèce animale. De plus, contrairement aux expériences de laboratoire où l'on travaillait habituellement avec des animaux endormis, il fallait ici expérimenter sur des animaux éveillés, implantés depuis plusieurs semaines et ayant parfaitement récupéré.

Les signaux recueillis par les électrodes intracrâniennes devant être transmis par télémesure au sol, il fallut aussi mettre au point un amplificateur à transistors capable de résister aux accélérations, et surtout suffisamment miniaturisé pour être disposé dans la pointe de la fusée. Les données de bord étaient, elles, transcrites sur un enregistreur de bord, sorte de "boîte noire" récupérée après le vol.

Les chats entrent en scène

Pour cette expérience, il fut décidé d'utiliser des chats, dont la taille du cerveau permettait une exploration électro physiologique plus complète. Dans l'ogive de la fusée, ils étaient maintenus dans une position accroupie, ce qui est leur attitude habituelle de repos, afin d'amoindrir le traumatisme du départ.

Six chats furent choisis et les tests de sélections purent commencer. Ils comprenaient notamment de longs séjours en chambre de contention, et des essais en centrifugeuse. Aucun ne sembla trop en souffrir, mais certains semblèrent vouloir compenser ces désagréments en se goinfrant davantage. Ils furent écartés du programme…

Le choix tomba finalement sur Félix, un chat tigré trouvé dans les rues de Paris et acheté par le gouvernement français à un refuge. Mais celui-ci réussit à s'enfuir quelques jours plus tard, ce qui contraignit les chercheurs à le remplacer par sa "doublure", Félicette, une chatte européenne noire et blanche.

Le 18 octobre 1963, Félicette fut installée dans une capsule spéciale au sommet de la fusée Véronique AG1 V47 sur la base de Colomb Bacar à Hammaguir. Le vol se déroula parfaitement et la capsule atteignit l'altitude de 157 km. L'absence de pesanteur fut bien observée depuis la fin de la propulsion jusqu'au début du freinage, soit pendant 302 secondes. Les enregistrements électro physiologiques reçus durant le vol étaient d'excellente qualité. Ils concernaient le cortex somesthésique gauche, le cortex associatif gauche, l'Hippocampe droit et la réticulée mésencéphalique. En outre, le potentiel évoqué par la stimulation de la patte antérieure droite, était enregistré dans les aires somesthésique et associative gauche correspondantes.

La capsule et Félicette ont été récupérées 13 minutes et 13 secondes après le départ, en bon état pour l'une, en parfaite santé pour l'autre. Plus tard, le Dr Grandpierre déclara que "Félicette avait apporté une précieuse contribution à la recherche".

Six jours plus tard, la fusée Véronique AGI V50, qui emportait un deuxième chat, dévia de sa trajectoire et alla s'écraser à 120 kilomètres de la base, tuant son malheureux passager. L'expérience ne fut pas réitérée, au grand soulagement de la race féline…

La France oublie ses héros

Si Félicette, la première chatte spationaute française a bien été récupérée en parfaite santé, nul ne sait ce qu'elle est devenue. Quelques timbres ont bien été émis pour commémorer l'évènement, mais essentiellement en république du Niger et en république des Comores. La France, sa patrie, lui a tourné le dos… Quant au second chat, mort pour la Science, plus personne, à ce jour, ne se souvient de son nom.

Jean Etienne
 

 

 
La carte édité par le CERMA porte l'indication suivante : Merci pour
votre participation à nos succès du 18 octobre 1963.
 
 
 

 
Félicette en centrifugeuse.
 
 
 

 
Envol de la fusée Véronique AG1 V47 emmenant
Félicette pour son vol suborbital.
 
 
 

 
Récupération de la capsule après son vol à 157 km d'altitude. Félicette est à bord, saine et sauve.
 
 
 

 
Félix, le chat qui a raté son billet pour l'espace...
 
 
 
 
 

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