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Le 18 octobre 1963, une chatte
française de race européenne était embarquée à bord d'une fusée
Véronique sur la base de Colomb Bacar, à Hammaguir, dans le Sahara
algérien. Au cours d'un vol suborbital qui ne durera qu'une
quinzaine de minutes, elle deviendra ainsi le premier – et le seul –
chat à avoir goûté aux sensations d'un voyage dans l'espace.
Avant le début de l'ère spatiale, on ne s'était que peu soucié des
conséquences et effets biologiques de l'absence de pesanteur
sur un organisme. Non par désintérêt, mais simplement parce que ces
conditions sont impossibles à reproduire durablement sur Terre.
Aussi, le médecin général Grandpierre, directeur du Centre
d'Enseignement et de recherche de Médecine Aéronautique français
(CERMA) décida-t-il d'utiliser les possibilités offertes depuis peu
par les fusées-sondes, capables de procurer plusieurs minutes
d'apesanteur durant la phase balistique de leur trajectoire, pour
étudier les perturbations subies par les sens de l'orientation et de
l'équilibre dans de telles conditions.
Après avoir consulté un groupe de travail, le sous-comité Programme
scientifique de recherches spatiales, le Comité d’Action
Scientifique de la Défense Nationale (CASDN) donna son approbation
en 1959, confirmée deux ans plus tard lors de la création du CNES.
Contraintes redoutables
Le programme était non seulement ambitieux, mais osé. Car si
réaliser des expériences sur des animaux se révèle déjà délicat sur
Terre, y ajouter les contraintes provoquées par une longue attente
dans le volume confiné d'une capsule, à laquelle succède le
traumatisme d'un lancement et de la formidable accélération de la
fusée, risquait d'en
fausser les résultats en masquant les effets de l'absence de
pesanteur. Aussi, un long entraînement était-il nécessaire pour
accoutumer les animaux à ces contraintes, cela après
avoir opéré une sélection des meilleurs sujets sur différents
critères.
L'étude des fonctions cérébrales impliquées dans les sens de
l'équilibre et de l'orientation étant primordiale, les techniques
électro physiologiques de l'époque imposaient la pose d'électrodes
au sein même du cerveau des animaux. Mais cette implantation
chirurgicale posait des problèmes spécifiques à chaque espèce
animale. De plus, contrairement aux expériences de laboratoire où
l'on travaillait habituellement avec des animaux endormis, il
fallait ici expérimenter sur des animaux éveillés, implantés depuis
plusieurs semaines et ayant parfaitement récupéré.
Les signaux recueillis par les électrodes intracrâniennes devant
être transmis par télémesure au sol, il fallut aussi mettre au point
un amplificateur à transistors capable de résister aux
accélérations, et surtout suffisamment miniaturisé pour être disposé
dans la pointe de la fusée. Les données de bord étaient, elles,
transcrites sur un enregistreur de bord, sorte de "boîte noire"
récupérée après le vol.
Les chats entrent en scène
Pour cette expérience, il fut décidé d'utiliser des chats, dont la
taille du cerveau permettait une exploration électro physiologique
plus complète. Dans l'ogive de la fusée, ils étaient maintenus dans
une position accroupie, ce qui est leur attitude habituelle de
repos, afin d'amoindrir le traumatisme du départ.
Six chats furent choisis et les tests de sélections purent
commencer. Ils comprenaient notamment de longs séjours en chambre de
contention, et des essais en centrifugeuse. Aucun ne sembla trop en
souffrir, mais certains semblèrent vouloir compenser ces
désagréments en se goinfrant davantage. Ils furent écartés du
programme…
Le choix tomba finalement sur Félix, un chat tigré trouvé
dans les rues de Paris et acheté par le gouvernement français à un
refuge. Mais celui-ci réussit à s'enfuir quelques jours plus tard,
ce qui contraignit les chercheurs à le remplacer par sa "doublure",
Félicette, une chatte européenne noire et blanche.
Le 18 octobre 1963, Félicette fut installée dans une capsule
spéciale au sommet de la fusée Véronique AG1 V47 sur la base de
Colomb Bacar à Hammaguir. Le vol se déroula parfaitement et la
capsule atteignit l'altitude de 157 km. L'absence de pesanteur fut bien observée depuis la fin de la propulsion
jusqu'au début du freinage, soit pendant 302 secondes. Les enregistrements
électro physiologiques reçus durant le vol étaient d'excellente
qualité. Ils concernaient le cortex somesthésique gauche,
le cortex associatif gauche, l'Hippocampe droit et la réticulée
mésencéphalique. En outre, le potentiel évoqué par la stimulation de
la patte antérieure droite, était enregistré dans les aires
somesthésique et associative gauche correspondantes.
La capsule et Félicette ont été récupérées 13 minutes et 13 secondes
après le départ, en bon état pour l'une, en parfaite santé pour
l'autre. Plus tard, le Dr Grandpierre déclara que "Félicette
avait apporté une précieuse contribution à la recherche".
Six jours plus tard, la fusée Véronique AGI V50, qui emportait un
deuxième chat, dévia de sa trajectoire et alla s'écraser à 120
kilomètres de la base, tuant son malheureux passager. L'expérience
ne fut pas réitérée, au grand soulagement de la race féline…
La France oublie ses héros
Si Félicette, la première chatte spationaute française a bien été
récupérée en parfaite santé, nul ne sait ce qu'elle est devenue.
Quelques timbres ont bien été émis pour commémorer l'évènement, mais
essentiellement en république du Niger et en république des Comores.
La France, sa patrie, lui a tourné le dos… Quant au second chat,
mort pour la Science, plus personne, à ce jour, ne se souvient de
son nom.
Jean Etienne
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