27 novembre 2014

 

La fin programmée du lanceur Proton

 
La Russie réduira le nombre des tirs de ses lanceurs Proton depuis le cosmodrome de Baïkonour conformément à une entente intervenue avec le Kazakhstan, a annoncé lundi le directeur de l'Agence fédérale spatiale russe (Roskosmos) Oleg Ostapenko.

"Nous nous sommes entendus de réduire le nombre des tirs d'ici 2026. Il y aura plusieurs tirs de Proton après 2026 si nécessaire. Nous avons élaboré un calendrier des tirs", a indiqué M.Ostapenko lors de la 2e réunion de la commission intergouvernementale russo-kazakhe pour le cosmodrome de Baïkonour.

On s'en souvient, le lanceur lourd Proton avait été mis au point dans les années 60 afin de fournir à l'ex-URSS un vecteur capable de transporter une charge nucléaire vers les Etats-Unis. Ensuite convertie en lanceur de satellites, elle pouvait dans sa première version à deux étages satelliser 12,2 tonnes en orbite basse. La version K qui lui succède à partir du 16 novembre 1968 comporte 3 étages, et servira notamment à lancer les modules des stations spatiales, d'abord Saliout, puis Mir et ensuite la Station Spatiale Internationale (dont le corps central Zvezda). Un quatrième étage (Block D, D-1, D-2, DM, DM-2, DM-3) lui permet aussi de lancer diverses sondes interplanétaires et lui donne l'accès à l'orbite géostationnaire.

La version actuelle, dénommée Proton M, est lancée pour la première fois le 5 juillet 1999. Les 3 premiers étages sont modernisés : la structure des 2e et 3e étages est allégée, tandis que la séquence de séparation des étages est revue pour consommer moins d'ergols, tandis qu'un nouveau système de pilotage permet au lanceur d'optimiser son profil de vol. Elle se décline en 2 versions à 4 étages (DM-2 et Briz-M) pour desservir l'orbite géostationnaire ou pour les lancements de sondes interplanétaires.

 

 

 
Lanceur Proton en route vers son aire de lancement. Crédit Roskosmos.
 
Un lanceur peu fiable

Mais la fusée Proton souffre de défauts. Bien que tirée à près de 400 exemplaires à ce jour, son taux de succès de dépasse pas 89%, valeur rédhibitoire pour un usage commercial. A titre de comparaison, le lanceur Soyouz affiche un taux de fiabilité de 98% sur plus de 1700 lancements.

On comprend mal une telle différence pour deux lanceurs, construits à la même époque par la même industrie et les mêmes ingénieurs. En fait, le défaut principal provient vraisemblablement de la conception même de la fusée, soumise à des contraintes très sévères.

L'aspect de Proton ressemble à celui de Soyouz, avec un corps central flanqué de propulseurs d'appoint. Mais là s'arrête la similitude. Car si les quatre éléments extérieurs entourant l'élément central de la Soyouz constituent des ensembles réservoirs/moteurs indépendants à part entière, l'architecture de Proton est toute différente.

Produite dans la banlieue de Moscou par la société GKNPZ Khrounitchev (créée en 1916 pour construire des automobiles), la Proton doit être acheminée jusqu'à Baïkonour, dans le Kazakhstan, par voie de chemin de fer. Or, l'administration des chemins de fer russes impose certaines contraintes matérielles, comme un encombrement maximum de 4,15 mètres de largeur. Une fusée de plus de 500 tonnes (aujourd'hui 702 tonnes) étant incompatible avec un aussi faible diamètre, les ingénieurs ont opté pour une disposition très particulière.

Ainsi, le corps central, effectivement de 4,15 mètres de diamètre de bout en bout, ne comprend-il qu'un réservoir de comburant (peroxyde d'azote), tandis que les réservoirs de carburant (UDMH) et les moteurs sont rejetés dans 6 modules cylindriques fixés à l'extérieur.

Contrairement au Soyouz, le corps central sur lequel repose la charge des étages supérieurs et du satellite, est inerte et uniquement supporté par ses éléments extérieurs. Cela fragilise-t-il l'ensemble ? On ne pourrait évidemment le certifier, mais on imagine aisément les contraintes subies au niveau des points d'attache et du jeu complexe des vibrations engendrées.

 
 
 

 
Vue arrière du lanceur, montrant le groupe propulseur en couronne. Crédit Roskosmos.
 
Un carburant particulièrement toxique

Mais cela n'est pas tout. Selon le premier vice-premier ministre kazakh Bakytjan Saguintaïev, le Kazakhstan œuvre énergiquement depuis plusieurs années pour l'abandon des fusées Proton pour des raisons écologiques. "C'est une question sensible pour la société kazakhe", a indiqué M.Saguintaïev.

En effet, les trois premiers étages utilisent pour leur propulsion un mélange de diméthylhydrazine asymétrique (UDMH) et de peroxyde d'azote. Ces produits sont stockables, c'est-à-dire qu'ils peuvent être conservés à température et pression ambiantes au niveau du sol, même dans des conditions extrêmes. Mais L'UDMH est un carburant dangereux, cancérigène, et qui s'il n'explose pas aux chocs, produit des vapeurs inflammables aux concentrations comprises entre 2,5 et 95 % dans l'air (par comparaison, la fusée Soyouz brule du kérosène et de l'oxygène liquides). Dans le domaine de l'expérimentation clinique, le diméthylhydrazine est aussi utilisés par les biologistes pour induire des cancers et des métastases expérimentalement chez les animaux de laboratoire : 20 mg/kg durant 12 semaines suffisent chez le rat de laboratoire.

Pour ces raisons, la Russie et le Kazakhstan ont signé en janvier 2014 un accord sur l'exploitation conjointe du cosmodrome de Baïkonour, qui prévoit la modernisation des lanceurs existants et la création de nouvelles fusées moins polluantes, ainsi que l'abandon progressif des lanceurs utilisant ce combustible toxique. Le lanceur Angara, dont le développement est en cours, répond à ces besoins.

 
 

 
Lanceur Proton en cours d'assemblage. Crédit Roskosmos.
 

 

 
 
 

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