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"La diffusion de nouvelles sur la
génétique du comportement engendre involontairement des informations
non fondées et ne sert donc pas la cause de l'information
scientifique". Voilà le constat auquel parvient Alexandre
Morin-Chassé à l'issue d'une recherche auprès de 1500 sujets
américains.
Cette constatation vient de faire l'objet d'une publication dans la
revue scientifique BioScience, publiée par l'Oxford University
Press. "Nous avons, entre autres choses, cherché à savoir si le
public comprenait bien les articles de vulgarisation scientifique à
propos d'un nouveau champ du savoir, la génopolitique, et si cette
vulgarisation aidait bel et bien les gens à se forger une opinion
éclairée sur la génétique humaine", mentionne le jeune candidat
au doctorat de l'Université de Montréal.
Le protocole d'étude
Les sujets ayant pris part à cette étude ont eu à lire une nouvelle
rapportant des recherches sur l'influence d'un gène sur l'un ou
l'autre des trois éléments suivants : le cancer du sein,
l'idéologie politique (libérale ou conservatrice) ou la
tendance à s'endetter. Après la lecture d'un des articles, il
leur a été demandé d'estimer l'incidence de la génétique sur
différentes caractéristiques biologiques (par exemple la couleur des
cheveux ou la taille) ou comportementales (la violence,
l'alcoolisme) sur une échelle allant de pas du tout à totalement
génétique. On précisait qu'il n'y avait ni bonnes ni mauvaises
réponses. On ne cherchait qu'à connaître l'interprétation des faits.
Les conclusions du chercheur sont pour le moins troublantes. Il a
constaté que, après avoir lu un article du quotidien britannique
The Daily Telegraph sur un "gène responsable des idées
libérales" paru en octobre 2010, les lecteurs avaient tendance à
généraliser les effets de la génétique sur les comportements ou
orientations sociales qui ne sont pas du tout mentionnés dans la
nouvelle (notamment l'orientation sexuelle). Le même phénomène a été
observé chez les lecteurs de l'article qui associait un gène à la
prédisposition à l'endettement et paru dans le magazine
Scientific American MIND en juin 2010.
Déformer l'information pour mieux la vendre
La mauvaise compréhension du public ne serait pas la seule à blâmer
dans ces interprétations erronées, car la façon de communiquer la
science a ses règles, qui ne sont pas toujours nobles. "Généralement,
écrit l'auteur, le premier but des journalistes scientifiques est
d'informer le public sur des questions de science. Toutefois, cette
pratique n'est pas désintéressée, puisque des nouvelles sont
volontairement écrites pour attirer l'attention du public sur des
résultats surprenants afin d'augmenter ou de maintenir les parts de
marché de l'entreprise de presse".
On comprend que les recherches en génétique sur les comportements
progressent en terrain miné. Ce champ est parfois mis en rapport
avec d'autres travaux théoriques plus controversés, tels ceux de la
sociobiologie qui tentaient d'expliquer les inégalités sociales à
l'aide de la théorie de l'évolution et de la notion de sélection
naturelle. Par contraste, la vague actuelle d'études repose sur des
analyses empiriques de données d'ADN. "Je suis personnellement en
faveur de cette piste novatrice pour mieux saisir notre monde, mais
je dois me rendre à l'évidence: ce champ est souvent mal perçu,
voire méprisé. Certains le réduisent à sa forme la plus
déterministe. Le danger, bien présent à mon avis, est que les
conclusions de la recherche scientifique en viennent à être
instrumentalisées à des fins idéologiques par certains groupes
sociaux. D'où l'importance de s'assurer que le public en comprend la
portée et les limites".
La venue du "génopolitologue" James Fowler au Département de science
politique de l'Université de Montréal en 2008 demeure d'ailleurs
dans les mémoires. L'auditoire comptait autant de partisans de ses
théories que de détracteurs. "Je n'y étais pas, mais on m'en a
beaucoup parlé", indique Alexandre Morin-Chassé, qui a entrepris,
depuis, des recherches en collaboration avec l'expert américain.
Source :
Université de Montréal |
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