Ne cherchez pas la signification de Bumper dans un
dictionnaire d'astronautique : ce mot n'y figure simplement pas. Et
pourtant, Bumber, c'est bien le nom des premières fusées à avoir
jamais été lancées depuis Cap Canaveral dès 1950, et elles méritent
bien qu'on se souvienne d'elles…
Dès la fin des hostilités, les Américains avaient Von
Braun dans leur camp. Von Braun, plus une magnifique armée de
techniciens. C'était un premier bon point. Le second, c'était la
découverte des usines souterraines de V-2 dans la forêt allemande de
Thuringe. Et tout de suite, conscients de l'aubaine, l'armée
entreprend d'envoyer aux Etats-Unis une centaine de ces engins en
pièces détachées. Tout est récupéré, même les épaves. Ces pièces
prennent le chemin d'un centre d'essais construit en plein désert,
près d'Alamogordo, au Nouveau-Mexique. Uniquement habité par les
"Rocketteers", c'est-à-dire les spécialistes en fusées, ce centre,
appelé "White Sands Proving Grounds", ressemble à la base de
Peenemünde. Et Von Braun n'y est pas dépaysé.
White Sands avait pourtant été construit bien avant
l'arrivée des savants allemands pour servir de base d'essais à la
fusée Wac-Corporal. Mais à côté de la fusée allemande, la
Wac-Corporal faisait bien piètre figure…
L'idée première des Américains avait été de placer la
technique allemande au service de la Wac-Corporal. Mais il fallait
se rendre à l'évidence: la V-2 n'était pas seulement en avance, il y
avait un abîme entre les deux technologies. Dès lors, on laissa agir
l'équipe de Von Braun à sa guise. Et les résultats ne se firent pas
attendre. Le 16 avril 1946, une première V-2 quittait la rampe de
lancement et atteignait une altitude de 161 km.
Mais White Sands, ce n'était qu'un rectangle de 200
km sur 50 et le désert lui-même avait ses limites. Aussi, lorsqu'il
fut envisagé de construire une fusée à deux étages, donc de plus
grande portée, et surtout après quelques sérieux incidents – qui
virent des morceaux de lanceur retomber aux portes d'un village
mexicain et dans un cimetière – le choix d'une meilleure base de
lancement fut souhaité.
C'est ainsi que Cap Canaveral fut choisi. En
espagnol, Cabo de Canaveral signifie Cap des Champs de Canne et
avait été baptisé ainsi par l'explorateur Juan Ponce de Leon en
1513. Parfaitement isolé, cet endroit marécageux qui restait à
conquérir aux alligators et aux moustiques permettait des tirs vers
l'océan en toute sécurité. C'est ainsi que l'équipe de Von Braun
déménagea. Cap Canaveral fut officiellement inauguré le 1er
octobre 1949.
Bumper
Le projet de fusées à deux étages, qui avait déjà
démarré à White Sands, avait été baptisé Bumper. Bumper, au jeu de
cricket, c'est une balle qui rebondit en hauteur. Le mot convenait
bien pour désigner une petite fusée qui s'élançait depuis une plus
grande. En l'occurrence, le premier étage était constitué d'une V-2
allemande, surmonté de la Wac-Corporal américaine.
Nous sommes en juillet 1950. Deux mois plus tôt,
l'avion-fusée expérimental X-1 a effectué son dernier vol à Edwards
avant d'être transporté au Smithmonian Museum de Washington. A White
Sands, quatre singes et plusieurs souris ont déjà pris la route de
l'espace au cours de vols suborbitaux dans l'ogive de fusées V-2. Et
à Cap Canaveral, le premier grand événement se prépare…
Le projet Bumper avait déjà débuté à White Sands avec
le tir des six premiers exemplaires. Le premier lancement de Cap
Canaveral était programmé pour le 19 juillet, mais ce jour-là, la
chance n'était pas au rendez-vous. Le tir fut d'abord reporté à
cause d'un appareil militaire devant effectuer un atterrissage
d'urgence sur la base. Puis le compte à rebours reprit, et à la mise
à feu, rien ne se passa et Bumper 7 resta au sol. L'humidité de Cap
Canaveral avait envahi les circuits électriques du lanceur, aucune
protection n'étant prévue: dans le désert brûlant de White Sands, ce
n'était pas nécessaire.
Bumper-8 fut mise à feu le 24 juillet 1950 à 9 h 28.
L'étage V-2 grimpa à 16 km, puis le Wac-Corporal se détacha avant de
grimper à 24.000 m et retomber à 225 km de la base. Le V-2 ayant
explosé juste après sa séparation, l'expérience fut considérée comme
un demi-succès.
Bumper-7, lui, réussit son vol le 29 juillet en
atteignant l'altitude de 35.100 m et parcourant une distance de 305
km. Mais l'aventure ne faisait que commencer. Bientôt, des fusées de
plus en plus puissantes allaient naître. Jupiter, encore dérivée de
la V-2, puis Atlas, dérivée d'un missile balistique conçu par un
Belge, Karl Bossaert, qui emmena les premier Américains dans
l'espace, ensuite Titan et les cabines biplaces Gemini, l'énorme
Saturne et le programme lunaire Apollo. Pour arriver à la navette
spatiale. Mais cela, c'est une autre histoire…
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