2 novembre 2014

 

Jack l'Eventreur, l'ADN et l'erreur humaine

 

En septembre dernier, la grande majorité des organes de presse claironnaient qu'une étude scientifique avait permis d'identifier Jack L'Eventreur sur la base d'un test ADN. Mais fin octobre, il n'y avait curieusement plus grand monde pour démentir la nouvelle, qui ne reposait que sur une erreur…

Il faut bien l'admettre: après cette "une" tonitruante, qui a fait le tour de la terre par la voie des airs, de l'image et du son, la véritable identité de ce personnage historique, quasi-mythologique pour certains, reste un mystère. Et le restera encore probablement longtemps.

Pourtant, le 9 septembre dernier, The Independant publiait – en exclusivité – un long article très détaillé décrivant comment un enquêteur "amateur", Jari Louhelainen, avait réussi à identifier le tueur, un coiffeur juif polonais nommé Aaron Kosminski, suspect laissé en liberté à l'époque par manque de preuves. Il aurait obtenu ce résultat sur la base du séquençage ADN des traces de sperme laissées sur un châle abandonné par Jack L'Eventreur près d'une des victimes (Catherine Eddowes), et soigneusement conservé par les descendants d'un des policiers ayant enquêté sur le crime voici 126 années avant d'être vendu aux enchères voici une vingtaine d'années. La comparaison de cet ADN avec celui d'une des descendantes d'Aaron Kosminski, qui s'est portée volontaire pour un prélèvement, aurait été déterminante. Je passe les détails de cette enquête, plutôt rocambolesques...

Mais toute cette construction était basée sur une erreur. C'est le site australien casebook.org qui l'a remarqué le premier, puis quatre experts de l'ADN l'ont mis en évidence: Jari Louhelainen aurait fait une "erreur de nomenclature" quand "il a utilisé une base de données d'ADN pour calculer les chances d'une correspondance génétique. Si cela est avéré, cela prouverait que ses calculs sont faux et que techniquement, n'importe qui aurait pu laisser cet ADN alors que le scientifique affirmait que c'était celui de Jack l'Eventreur". Autrement dit, notre enquêteur amateur s'était comporté en… amateur. Résumons.

Le châle

L'auteur, qui a d'ailleurs publié un livre sur son enquête (nous n'osons dire "sur sa découverte"), affirme que le châle, d'un modèle coûteux, ne pouvait appartenir à la victime car celle-ci était de situation modeste. Soit. Mais si on pousse les vérifications un peu plus loin, ce que les "vrais" enquêteurs de casebook.org ont fait, on s'aperçoit que cet objet ne figure pas parmi l'inventaire des pièces à conviction prélevées sur les lieux du crime. Plus gênant: le policier qui aurait découvert le châle, nommé Amos Simpson, n'a jamais été cité dans les procès-verbaux d'enquête. En fait, il ne s'est jamais rendu sur les lieux du crime.

L'ADN

Bien entendu, la corrélation entre l'ADN du meurtrier et celui de sa victime pourrait balayer ces arguments. Mais cette corrélation était basée sur une grossière erreur. Pour prouver que ce châle était bien celui de Catherine Eddowes, Jari Louhelainen s'appuyait sur le fait que l'ADN prélevé sur les taches de sperme de Jack l'Eventreur et celui d'une des descendantes du suspect Aaron Kosminski présentaient tous les deux une mutation génétique excessivement rare (314.1C), partagée par seulement une personne sur 290.000. Mais voilà : selon quatre experts généticiens, dont le britannique Alec Jeffreys, Louhelainen a confondu la mutation 314.1C avec une autre, 315.1C. Et celle-là est beaucoup plus répandue, puisqu'elle touche… 99% de la population mondiale !

Ainsi que le déclarent les responsables du site Casebook, "La beauté de la science, c'est qu'elle peut être indépendamment testée et vérifiée. Aujourd'hui, il semble que les annonces de M. Edwards (qui a écrit un livre sur la véritable identité de Jack l'Eventreur, d'après les recherches faites avec Jari Louhelainen) doivent être prises avec une beaucoup de recul, tant qu'elles n'ont pas été indépendamment vérifiées et publiées dans un journal réputé".

Laissons conclure le Washington Post : "En l'espace de 120 ans, le moulin à rumeurs, une armée de détectives amateurs et la machine à fakes britannique a fait circuler de très nombreux noms. On a cru à un boucher, à un docteur et même au petit-fils de la Reine Victoria. Les regards se sont ensuite tournés vers Robert Mann, un employé de la morgue. Ou peut-être était-ce l'artiste victorien Walter Sickert, qui était 'lié' – le verbe préféré dans ces affaires – à plusieurs lettres supposément écrites par Jack l'Eventreur".

A présent, on peut éliminer un coiffeur polonais…

 
 

 

 

 
 
 

Retour

Commentez cet article dans le forum